
Tamanrasset : la tourmaline pourrait révéler de l’or vieux de 800 millions d’années
Le désert du Hoggar à Tamanrasset pourrait receler bien plus que des paysages : des trésors enfouis depuis des millions d’années.
Dans les profondeurs du désert du Hoggar à Tamanrasset, une avancée scientifique remarquable remet en question les méthodes classiques de prospection de l’or. Longtemps centrée sur les veines de quartz, les sulfures et les failles profondes, la géologie aurifère pourrait bien s’enrichir d’un nouvel indicateur : la tourmaline.
Un minéral complexe qui pourrait révéler l’invisible
La tourmaline n’est pas un minéral nouveau pour les scientifiques. Connue pour sa grande variété de couleurs, cette pierre est composée essentiellement de silicates enrichis en bore, aluminium, fer, magnésium, sodium, lithium ou potassium. Sa structure cristalline complexe en fait une véritable archive chimique, enregistrant les conditions de température, de pression et d’oxydation des milieux où elle s’est formée.
Si des études menées au Canada, au Brésil, en Chine, au Burkina Faso et au Cameroun ont déjà évoqué un lien potentiel entre tourmaline et présence d’or, la nouvelle étude algérienne vient consolider ces hypothèses avec des preuves concrètes issues du territoire national.
Dr Ismahan Chaouach : une recherche pionnière dans le Hoggar
Conduite par la Dr Ismahan Chaouach, du département de géologie de l’Université Houari-Boumediene, l’équipe de chercheurs a analysé des échantillons de tourmaline prélevés dans trois sites majeurs de la région de Silet, dans le Hoggar : Assouf Mellene, Seldrar et Idrissi. Ces zones se trouvent le long d’un grand système de failles appelé « zone de Kass », une formation tectonique datant de l’époque pan-africaine, entre 540 et 800 millions d’années.

À l’aide d’outils de pointe comme le microscope électronique et l’analyse spectroscopique, l’équipe a étudié la composition chimique des cristaux de tourmaline. Leurs analyses ont mis en lumière un fait marquant : la présence d’or est directement corrélée à une variété spécifique de tourmaline appelée « schorl », riche en fer trivalent.
Ce type de tourmaline se forme dans des environnements oxydés, propices à la précipitation de l’or dans les fractures rocheuses. Plus tard, lorsque les conditions changent et que la teneur en magnésium augmente, une autre variété de tourmaline, la « dravite », apparaît. À ce stade, l’or n’est plus présent, suggérant que sa formation s’est arrêtée ou qu’il a été redistribué par altération chimique.
Une horloge géologique précieuse
Cette découverte révèle une capacité étonnante de la tourmaline : elle agit comme un thermomètre et chronomètre géologique. L’analyse de sa composition permet non seulement de détecter la présence d’or, mais aussi de dater précisément l’événement de précipitation et d’estimer les conditions chimiques qui l’ont permis. En somme, la tourmaline devient une sorte de « carte mémoire » du sous-sol.

C’est une révolution méthodologique. Grâce à ce nouvel indicateur, les géologues peuvent mieux cibler les zones d’exploration, économisant temps, argent et ressources dans des régions vastes et inhospitalières comme le Hoggar.
Un outil complémentaire, pas un remplaçant
Le Dr Hassan Bekheit, président du Conseil consultatif arabe pour l’industrie minière, salue cette découverte tout en soulignant que la tourmaline ne remplace pas les indicateurs classiques. Les veines de quartz, les minéraux sulfurés comme la pyrite ou l’arsénopyrite, et les grandes failles restent essentiels. De même, l’analyse des éléments traces associés à l’or – arsenic, argent, antimoine – demeure un outil indirect mais efficace dans les phases préliminaires d’exploration.
Il rappelle que ces indicateurs sont surtout utiles lorsqu’ils sont combinés. C’est leur convergence qui augmente la fiabilité du diagnostic géologique, et non un seul signal isolé.
L’or est-il toujours une bonne affaire à Tamanrasset ?
La question cruciale, au-delà de la présence d’or, est celle de la rentabilité économique. La seule découverte ne garantit pas l’exploitation. Tout dépend de la teneur en or (g/t), de la profondeur, de l’accessibilité du gisement, des coûts d’extraction et de traitement, et bien sûr du prix mondial du métal jaune.
Prenons un exemple théorique : si une zone contient 5 millions de tonnes de roche aurifère à une teneur moyenne de 2 grammes par tonne, on y trouve potentiellement 10 tonnes d’or. Si le coût d’extraction d’un gramme est de 30 dollars et que le cours de l’or est à 60 dollars, l’opération est rentable. En revanche, si le site est difficile d’accès et que les coûts grimpent à 70 dollars le gramme, l’extraction devient déficitaire, même si le gisement est riche.
Une révolution douce dans la cartographie aurifère
La recherche menée en Algérie ne bouleverse pas la géologie minière, mais elle l’enrichit. Elle ajoute une pièce majeure au puzzle de la prospection aurifère, permettant aux scientifiques de mieux lire l’histoire du sous-sol, d’anticiper les zones riches et d’éviter les zones stériles. C’est une avancée scientifique discrète, mais à fort potentiel stratégique, dans une région du monde où l’or n’a pas encore révélé tous ses secrets.