
Guerre d’Algérie : Médiapart dévoile une note secrète ordonnant la torture systématique
Des archives secrètes révèlent que la torture en Algérie était une politique assumée par l'armée française.
Une récente enquête du quotidien français Médiapart a mis en lumière des documents confidentiels attestant de la généralisation de la torture contre le peuple algérien durant la Guerre de libération nationale. Un document d’archive classé « très secret », daté du 11 mars 1957 et signé par le général Raoul Salan, confirme que ces pratiques ont été institutionnalisées par l’armée française avec l’aval du pouvoir politique.
Médiapart : Une torture ordonnée et systématisée
L’enquête, rédigée par Fabrice Riceputi et intitulée « Guerre d’Algérie : des ordres des militaires pour généraliser la torture », démontre que cette pratique barbare n’était pas le fait de comportements isolés, mais bel et bien une stratégie délibérée. Après avoir été testée à Alger en 1957, l’armée française a reçu l’instruction d’étendre ces méthodes à l’ensemble du territoire algérien.
La note secrète du général Salan, adressée aux commandants des divisions militaires et des territoires du sud, portait sur les « interrogatoires des suspects ». Le document souligne que « les récentes expériences » ont mis en évidence l’efficacité d’interrogatoires « poussés à fond et immédiatement exploités ».

Voici l’extrait exact de la note rédigée par le général Raoul Salan le 11 mars 1957 :
« Objet : interrogatoires des suspects
De récentes expériences effectuées dans certaines régions ont mis en lumière le parti qui pouvait être tiré, surtout dans les villes, d’interrogatoires poussés à fond et immédiatement exploités.
Il importe que tout prisonnier soit interrogé avec le plus grand soin et que tout détail même apparaissant de prime abord sans importance soit enregistré et utilisé sur-le-champ le cas échéant. Dans plusieurs localités importantes des filières ont pu ainsi être remontées et leurs membres neutralisés.
Les Généraux, commandant des Divisions Militaires et les Troupes et Services des Territoires du Sud voudront bien, en rappelant les considérations ci-dessus aux Unités sous leurs ordres, donner des instructions pour que tout individu appréhendé soit soumis à un interrogatoire aussi serré que possible, et que les renseignements ainsi obtenus soient exploités dans les délais les plus rapides. »
Un camouflage linguistique pour masquer l’horreur
Dans un souci de discrétion, la diffusion écrite de ces directives était interdite, et leur transmission se faisait uniquement par voie orale. Les termes employés dans la note étaient soigneusement choisis pour éviter toute incrimination future. Toutefois, leur contenu révèle une réalité brutale : la torture était encouragée sous des formulations euphémiques telles que « interrogatoires poussés à fond ».
L’enquête de Médiapart rappelle que ces méthodes incluaient l’usage de la « gégène » (décharges électriques), la simulation de noyade et la baignoire, des techniques déjà employées par l’armée française durant la guerre d’Indochine.
Une stratégie concertée à tous les niveaux de commandement
D’autres généraux ont contribué à cette politique criminelle. La veille de la note de Salan, le 10 mars 1957, le général Massu publiait une directive similaire à destination de la 10ᵉ Division parachutiste basée à Alger. Quelques jours plus tard, le 23 mars, le général Allard, commandant du corps d’armée d’Alger, relayait ces ordres, officialisant la généralisation des procédés de torture.
Par ailleurs, ces pratiques ne visaient pas seulement les combattants algériens. Le texte révèle que toute personne pouvait être considérée comme « potentiellement exploitable », en raison de simples soupçons ou de présomptions d’activité en faveur du FLN.

Une responsabilité politique avérée
Au-delà du commandement militaire, Médiapart met en cause la responsabilité directe du gouvernement français de l’époque. L’enquête souligne le rôle clé du Premier ministre socialiste Guy Mollet, qui avait instauré en mars 1956 la loi des « pouvoirs spéciaux ». Ce texte accordait aux forces militaires une liberté totale pour détenir et interroger toute personne jugée suspecte, sans aucun contrôle judiciaire.
Les conséquences de ces décisions furent tragiques : des dizaines de milliers de victimes, hommes et femmes de tous âges, ont subi ces traitements inhumains jusqu’à l’indépendance en 1962.
En dépit de ces faits accablants, l’Etat français s’est autoamnistié de ces crimes par décret, dès le lendemain des accords d’Evian, sous la présidence du général de Gaulle.

Un passé qui refait surface
Ces révélations apportent un nouvel éclairage sur les exactions commises durant la colonisation et réactivent le débat sur la nécessité d’une reconnaissance officielle de ces crimes par la France.
Si l’Etat français a timidement admis certaines responsabilités ces dernières années, notamment sous la présidence d’Emmanuel Macron, ces nouvelles découvertes pourraient accentuer la pression pour une reconnaissance pleine et entière des souffrances infligées au peuple algérien.
Fabrice Riceputi : Un historien au service de la vérité sur la guerre d’Algérie
Fabrice Riceputi est un historien et journaliste français spécialisé dans l’histoire coloniale et la guerre d’Algérie. Engagé dans la recherche et la divulgation des archives liées aux crimes coloniaux, il collabore régulièrement avec des médias comme Médiapart pour révéler des documents inédits sur les violences et abus commis par l’armée française en Algérie. Auteur de plusieurs travaux sur la mémoire et la transmission de l’histoire, il s’attache à mettre en lumière des vérités longtemps occultées.