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Restitution du patrimoine : l’Algérie attend toujours des actes concrets de la France

Des milliers d’objets algériens attendent encore de retrouver leur terre natale.

Alors que la question de la restitution du patrimoine culturel spolié refait surface dans les débats politiques français, l’Algérie espère que les promesses, jusque-là symboliques, laissent enfin place à des actes concrets. Un nouveau projet de loi français, qui devrait être présenté à la fin du mois de juillet, pourrait autoriser, en théorie, la restitution de biens appartenant aux musées publics, en contournant le sacro-saint principe d’« inaliénabilité » des collections nationales. Mais à Alger, on reste prudent.

Un patrimoine arraché, une mémoire fragmentée

L’Algérie figure parmi les pays les plus affectés par le pillage colonial français. Depuis des années, elle réclame officiellement la restitution de plus de 5 000 objets à forte valeur historique et culturelle. Ces trésors comprennent des manuscrits rares, des artefacts islamiques et romains, des armes traditionnelles, ainsi que des biens personnels du héros national l’Émir Abdelkader, comme le célèbre canon de Bumerzoug ou encore des bijoux anciens saisis entre 1830 et 1962.

Malgré les déclarations répétées d’Emmanuel Macron depuis 2017, la France n’a jamais adopté de loi spécifique pour restituer les biens culturels à l’Algérie, contrairement à ce qu’elle a fait avec d’autres pays africains comme le Bénin et le Sénégal. Ces derniers ont pu récupérer certains objets symboliques, là où l’Algérie n’a obtenu que quelques gestes isolés.

Des gestes symboliques, mais insuffisants

Le rapatriement des 24 crânes de résistants algériens en 2020, suivi de la restitution partielle de manuscrits islamiques en 2022, avait suscité un espoir fragile. Mais ces démarches ont vite été éclipsées par la rigidité juridique et les conditions imposées par Paris, notamment en matière de transport et de conservation.

La France semble vouloir garder la mainmise sur l’agenda de ces restitutions, en privilégiant la solution des prêts temporaires à celle d’un retour définitif. Un choix perçu par Alger comme une nouvelle manifestation d’un rapport de domination hérité du colonialisme.

Baba Merzoug
Le canon Baba Merzoug, aussi appelé La Consulaire, est conservé à l’arsenal de Brest.

Plus encore, la mise en avant du critère de « conservation sécurisée » apparaît, aux yeux de nombreux observateurs, comme une remise en cause implicite des capacités algériennes à préserver leur propre patrimoine. Ce paternalisme culturel, jugé blessant, alimente une frustration croissante dans la société civile algérienne.

Une loi pour la restitution du patrimoine… sans garanties

Le projet de loi que Paris prévoit de soumettre au Sénat en septembre 2025 laisse planer le doute. Rien n’indique clairement que les demandes algériennes y seront intégrées. De nombreux experts dénoncent l’approche sélective de la France et le refus de certaines institutions muséales d’ouvrir la porte à une restitution totale, au nom de la « préservation de l’identité nationale ».

Certains vont même jusqu’à affirmer que les objets volés en Algérie sont devenus, au fil du temps, des pièces de l’identité française, comme si l’histoire coloniale pouvait être normalisée par l’intégration de ses butins dans les vitrines de la République.

L’Algérie riposte par la diplomatie

Depuis 2021, les autorités algériennes ont intensifié leurs efforts. Une commission nationale de recensement a été mise en place, des dossiers ont été transmis à l’UNESCO, et des alliances se sont nouées avec d’autres pays africains et arabes partageant cette même quête de restitution.

Cependant, ces démarches achoppent face à la lenteur administrative française et à une volonté politique qui semble manquer de consistance. Les arguments juridiques invoqués apparaissent souvent comme des prétextes pour ne pas engager un vrai processus de réparation historique.

Mémoire, justice et avenir des relations

La restitution du patrimoine volé dépasse largement la simple récupération d’objets. Elle touche à la mémoire collective, à la reconnaissance des injustices passées, et à la possibilité d’un nouveau départ dans les relations algéro-françaises.

Tant que la France continuera à temporiser ou à imposer ses propres conditions, ce dossier restera un point noir dans le dialogue bilatéral, symbole d’un passé qui refuse de se clore.

Et sans un changement d’attitude réel et durable, la question du patrimoine demeurera une plaie ouverte dans le récit postcolonial entre Alger et Paris.

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