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Le plat de fèves, roi de la table de l’Achoura à Ghardaïa

À Ghardaïa, l’Achoura commence… avec un plat de fèves fumant sur chaque table. Une tradition plus vivante que jamais.

À Ghardaïa, dans le sud algérien, l’Achoura n’est pas qu’un jour de jeûne ou de célébration religieuse. C’est aussi une ode à la mémoire culinaire, à la transmission culturelle et aux gestes simples mais puissants qui rassemblent les familles mozabites. Parmi les traditions les plus ancrées figure un plat modeste mais ô combien symbolique : le plat de fèves ou Ibawen (fèves en mozabite), préparé avec soin et amour, demeure l’invité d’honneur sur toutes les tables au matin du 10 Muharram.

Un mets ancestral au cœur de la culture mozabite

La préparation de ce plat ne s’improvise pas. Elle commence la veille, souvent par la maîtresse de maison qui trempe les fèves dans de l’eau douce pendant plusieurs heures. Ensuite, elles sont cuites toute la nuit à feu doux, pour offrir une texture tendre et un goût savoureux dès les premières heures de l’Achoura. Ce rituel culinaire est bien plus qu’une recette : il est l’expression vivante du patrimoine local, transmise de génération en génération.

Le plat de fèves n’est pas seulement une tradition ; c’est un symbole de partage, de générosité et de lien social. Les enfants, habillés de leurs plus beaux vêtements traditionnels, se promènent avec de petits plats en terre cuite dans les rues du quartier. Ils rendent visite aux voisins et membres de la famille pour collecter des portions de fèves, un geste simple qui cultive l’attachement communautaire dès le plus jeune âge.

Une symbolique forte : du palmier au prophète

L’un des gestes les plus touchants de cette journée consiste à distribuer entre 3 et 7 fèves dans un petit morceau de feuille de palmier à chaque enfant. Ce nombre n’est pas anodin : il fait écho à la tradition prophétique liée à la consommation de dattes, ancrant ainsi la fête dans un double héritage, à la fois religieux et local. L’attachement au palmier, arbre emblématique de la région, rappelle aussi l’importance de la nature et de l’environnement dans les pratiques culturelles du Mzab.

Beauté, pudeur et élégance : les filles à l’honneur

Outre les délices culinaires, les petites filles sont aussi au centre de cette célébration. On les habille avec soin en tenues traditionnelles — « melhfa », « meftoul » selon les localités —, on leur applique du khôl noir (poudre d’antimoine) autour des yeux, on leur coupe symboliquement une mèche de cheveux et on leur colore les mains au henné. Ces gestes, empreints de tendresse, marquent le passage à une nouvelle année lunaire avec joie, beauté et spiritualité.

Les maisons se parent de traditions

À l’occasion de l’Achoura, les foyers de Ghardaïa se transforment. On sort les plus beaux tapis artisanaux en laine (les célèbres « z’rabi ») tissés par les femmes de la région, véritables œuvres d’art aux motifs inspirés du riche patrimoine amazigh et mozabite. Ces tapis, accrochés aux murs ou déposés au sol, confèrent aux maisons une atmosphère chaleureuse et festive.

Une journée pour se retrouver… et se souvenir

Mais l’Achoura à Ghardaïa ne se limite pas à l’esthétique ou au goût. Elle porte un message spirituel profond : c’est un jour de jeûne pour certains, de visite aux malades pour d’autres, de prières pour les défunts, et surtout de renforcement des liens familiaux chez les mozabites. On visite les proches, on distribue l’aumône, on se recueille sur les tombes. Chaque geste est empreint de foi et de solidarité.

Le plat de fèves, aussi simple soit-il, devient à Ghardaïa un symbole d’enracinement, de transmission et de fierté. Dans un monde qui tend à l’uniformisation, ces traditions locales racontent une autre histoire : celle d’un peuple qui reste fidèle à ses racines, tout en partageant avec les nouvelles générations la richesse d’un passé toujours vivant.

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